Les voix des Andes

Traditions orales Quechua et Aymara de la Cordillère des Andes

vendredi, mars 10, 2006

La montagne condor - 1


Halario Aduviri

Province de La Paz, Bolivie
[Ecoutez son hitsoire ici .mp3]

« Bien… Mon grand-père est de la famille Moya, ma mère s’appelle Antonia Moya et mon père Mariano Aduviri, je suis leur fils.

Ma mère et mon grand-père vivaient à Tüni, à côté du lac, dans une petite maison, et moi aussi je vivais là-bas avec eux. C’est avec mon grand père que j’ai appris à connaître le Condoriri, le sommet où la montagne dit-on aussi…

Quand on aperçoit le Condoriri à distance, il a vraiment l’apparence d’un condor en position assise, avec ses ailes, son bec et ses yeux regardant plus ou moins vers l’ouest. En espagnol on l’appelle le Condoriri mais en aymara on dit : malku Gunuwi (condor assis).

Avant on parlait de malku car dans la région, il existait de grandes quantités de condors… des centaines, des milliers il y en avait… Et mes ancêtres ne les appelaient pas des condors mais des malku, tel était leur nom avant.

Voilà pourquoi les gens du coin aimaient bien ce malku car cette montagne ressemble à un condor aux ailes ouvertes, avec ses plumes, il est très ressemblant. Quand le soleil se lève, brillant, ou quand il se couche, la lumière illumine toujours le malku. Le soir, il change de couleur, il passe du bleu brillant au rouge, ça ressemble au leke leke, ce changement de brillance est le signal d’une grande joie…

Parfois quand il fait du brouillard, on dirait un peu de la laine, et parfois au contraire, il disparaît… Comme c’est souvent le cas à l’aube, il se cache… Le malku se cache dans les nuages. Ainsi est cette montagne.

On l’aimait beaucoup ce condor, ce malku. Avant, au temps de nos grands-pères, il y en avait des troupeaux entiers, aujourd’hui non, il y en a très peu.

Le malku aime bien manger des moutons et nos grands-pères voyaient régulièrement le malku venir leur prendre du bétail, il les emportait et c’était accepté. Ça, c’était au temps où les terres appartenaient encore à la communauté tout entière, et non pas comme maintenant où tout le monde possède sa parcelle individuelle, sa propriété privée.

Quand le condor arrive, il descend du ciel, de plus de 300 mètres et plonge sur un mouton en faisant un grand bruit, chilink… chilink… Un peu comme fait le son de la cloche de l’église, c’est pareil. Le malku sonne sa cloche en altitude, observant bien les moutons, les jeunes surtout. Et tout comme l’aigle, il descend à toute vitesse pour se jeter sur un mouton avec force et l’attraper avec ses grosses griffes. Puis, dans le même mouvement il redécolle vite et s’éloigne avec la bête. Cet acte était traditionnellement respecté, et il ne fallait surtout pas déranger ou faire du mal au condor quand il venait, sinon ce n’était pas bon signe pour l’éleveur.

C’est vrai, d’après la tradition, il ne faut pas interrompre le condor dans ses actes ; pour eux comme pour nous, ses actes sont sacrés… Quand un agneau tombe entre les griffes du condor, il faut laisser faire, ne pas intervenir… il nous en prend un mais ça veut dire que l’année prochaine va être bonne pour la production, c’est-à-dire que le bétail va bien se multiplier. Donc il ne faut pas bouger car si on l’attaquait avec nos frondes, le malku nous lancerait une malédiction, notre bétail deviendrait faible et manquerait de nourriture. Alors l’année à suivre serait terrible… »