Les voix des Andes

Traditions orales Quechua et Aymara de la Cordillère des Andes

vendredi, mars 10, 2006

Le bal des sorcières


Natulia Oralla “Manato”
Villarica, Région Cauca, Colombie
[Ecoutez son histoire ici .mp3]

« On raconte aussi en Parlachata cette drôle d’histoire de sorcière. Il y avait un homme qui s’appelait… mmh… enfin, je ne me rappelle plus de son nom, mais je vais vous raconter ce qui lui est arrivé.

Il habitait seul chez lui et tous les jours, il s’asseyait à sa porte à la même heure, de six heures jusqu’à dix heures. Car il voulait ne pas rater les deux demoiselles qui se promenaient devant chez lui, bien habillées, bien blanches avec leurs Louis XV et leurs tabliers.

Un jour, un mardi, il leur dit : “ Emmenez-moi avec vous ! ”, mais elles ne répondaient pas. Le mercredi, passant à nouveau au même endroit, là, à côté du monsieur, il leur répéta : “ Emmenez-moi avec vous ! ”, mais toujours pas de réponse. Le jour d’après, alors qu’elles repassaient devant sa porte, il demanda à nouveau : “ Emmenez-moi ! ”.

Et cette fois, les deux femmes lui répondirent : “ Allez, venez… ” et hop ! il jeta sa chaise et partit avec elles.

Pendant qu’ils marchaient côte à côte, une des femmes demanda à l’autre : “ Brinca algo ”… hum. L’homme ne pouvait pas s’imaginer que ces deux demoiselles blanches étaient des sorcières ! “ Brinca algo ”… hum, ce qu’elles se disaient l’intriguait, mais il continua quand même de les accompagner. Jusqu’à ce qu’ils arrivent face à une maison bizarre, bien différente de celles de Puerto Quezada. Il entra et se retrouva en plein milieu d’un bal… un bal de sorcières ! Et toutes se mirent à danser !

Par la suite, il entra dans une autre salle qui ressemblait à une épicerie, mais curieusement, on ne parvenait pas à voir le toit. Il demanda au vendeur pourquoi, mais celui-ci lui répondit rapidement : “ mon ami, ne dites rien… s’il n’y a pas de toit ici, c’est pour qu’elles [les sorcières] puissent vous amener justement… car vous êtes ici à Londres mon ami ! Cette maison là-bas vous transporte de Puerto Quijarro à Londres entre 1 et 6 heures du matin ! Surtout, ne faites pas de scandale car même avec vos papiers, on vous tue facilement pour contrebande ici ! Alors ne dites rien, je vais vous donner cette bouteille de vin pour que vous demandiez sur votre chemin d’ici où vous irez, si ce vin n’est vendu qu’ici à Londres. ”

De retour dans la salle du bal, l’homme… Tenorio, l’homme s’appelait Tenorio, mais je ne me souviens plus de son prénom… L’homme rentra donc la salle de bal, la bouche bien fermée pour ne pas se faire remarquer, et les sorcières dansaient toujours.

Elles dansaient, dansaient… À quatre heures du matin on lui dit : “ On y va, on y va, on y va, on y va… ” .

Les deux sorcières tournoyèrent et hop! Ils retombèrent devant la porte de sa maison de Puerto Quijaro…

“ Ne sortez jamais avec des gens de là-bas… jamais plus jamais je ne serai le même ! ” dit-il.

(Et le vin ? demande-t-on)

Le vin ? Il l’a ramené… il l’a ramené avec de l’argent et des cigarettes… le vin ne pouvait pas se trouver ailleurs car après tout, mon ami,

il était allé à Londres à cause de l’amour ! » [rires]